Artiste
Jean-Paul Souvraz

Des pots aux tanins dorés sur la paillasse, des pigments, des chiffons, des pinceaux plantés comme des bouquets secs, des couleurs collées au bois des tables, au plancher. Tout y circule librement, les microbes, le génie, le talent, le temps, la fatigue, l’élan, la puissance d’exister. Dans l’encombrement des toiles qui s’empilent à la verticale le long des murs, réduisant l’espace central à une « Plaza Mayor » à géométrie variable de plus ou moins 4 m2, la vie s’organise pour jaillir sans vernis, sans effet de manche lustrée, dans ses couleurs uniques, du gris Souvraz, au rouge Souvraz, en passant par le bleu Souvraz, sa « matitude » la plus simple, pour une expression la plus forte, sans reflet ou l’œil s’aveuglerait. Là s’érige son chevalet, l’œuvre en cours, son tabouret, une lampe déglinguée qui lui apporte toute la lumière utile. Du Blues qui s’échappe d’une enceinte tel une petite fumée d’un plat qui mijote. Un cigare qui redessine perpétuellement la commissure de ses lèvres. Souvraz est un solitaire, comme nous tous, mais lui le sait. Dans son espace il arpente son désir, avec parfois un côté joyeusement désespéré. Il baise la vie, « fuck », et avec l’âge il a parfois des ratés. Mais jamais il ne renonce au désir, c’est un puissant personnage, un créateur hors pair, un goulu de son art. C’est le matin, il peint. Comme demain. « Cesser de désirer c’est cesser d’exister » nous dit Comte-Sponville. Souvraz désire et existe pour toujours avec, et dans sa peinture. Il est solitaire dans un monde dans lequel nous ne sommes convoqués qu’à travers son œuvre; unique, incomparable: les tableaux qu’on peut par chance voir s’élaborer, le fond d’abord, l’équilibre, les lignes des personnages ensuite, les couleurs, les traits forts pour « durcir » - ceux qui s’exposent: pause d’un monde profond, d’un monde humain qui se débarrasse de ses pelures pour apparaitre sur scène, dans son énigmatique vérité. La peinture de Souvraz est un théâtre du suspense, dans lequel il apparait, à un détour, comme Hitchcock. Solitaire, il aime quand on le tire de sa solitude, pour parler de tout ou de rien, partager, discuter, de l’écriture des jours, rire, autour d’un verre de vin comme de vingt verres. La peinture finit toujours par apparaitre."